Stress et dépression
Stress et la dépression se caractérisent par des troubles de l’humeur, souvent accompagné d’une faible estime de soi, d’une perte de plaisir ou d’intérêt et des pressions ou contraintes environnementales ingérables.
Après la guerre du Viêt Nam, les hôpitaux de l’armée américaine se sont trouvés face à près d’un million d’anciens soldats gravement perturbés : sans être blessés physiquement, ils étaient hantés par les souvenirs de l’horreur de la guerre, et la plupart devenaient alcooliques ou drogués pour tenter de soulager leur souffrance. Pendant des années, on a expérimenté de multiples approches pour aider ces victimes du stress extrême. Jusqu’au jour où un groupe de chercheurs a démontré que leur hippocampe cérébral – une structure essentielle du cerveau qui organise les souvenirs – avait été tellement endommagé par le stress chronique qu’il s’était atrophié. Si leurs cauchemars et leur anxiété étaient dus à une lésion du cerveau, que pouvait-on espérer de simples séances de psychothérapie ?
La démonstration d’une anomalie physique dans le cerveau de ces anciens soldats fut une malédiction. On se mit à ne plus croire à la possibilité de les soigner. Et ceux qui n’avaient pas guéri de leur voyage dans l’enfer de la guerre furent lentement abandonnés à leur sort. Vingt ans plus tard, une équipe de chercheurs hollandais a montré qu’en réalité, cette anomalie du cerveau induite par le stress n’empêche en rien la guérison des symptômes par une psychothérapie appropriée (« Effects of psychotherapy on hippocampal volume in out-patients with post-traumatic stress disorder : a MRI investigation », R.J. Lindauer, E.-J. Vlieger, M. Jalink, et al., Psychological Medicine, 2005, 35 : 1-11).
Depuis deux décennies, l’industrie des médicaments psychotropes fait la promotion à travers toute la psychiatrie d’une autre idée du même type, tout aussi dangereuse : la dépression serait « d’abord » un déséquilibre biochimique dans le cerveau – un déficit en sérotonine – qu’il est possible de compenser en prenant des antidépresseurs de la famille du Prozac. Effectivement, quelques études suggèrent que les personnes déprimées auraient moins de sérotonine que les autres. Et le Prozac et ses cousins (Zoloft, Deroxat, Seropram, etc.) font monter le taux de sérotonine dans le cerveau. Mais ces arguments sont très incomplets (entre autres parce que le Prozac agit immédiatement sur la sérotonine alors que les effets antidépresseurs mettent plusieurs semaines à se manifester). Récemment, une équipe de l’hôpital Johns-Hopkins, à Baltimore, aux Etats-Unis, a démontré qu’en réalité, l’effet des antidépresseurs n’aurait rien à voir avec l’argument marketing qui nous a été présenté depuis si longtemps : leur véritable fonction serait de permettre aux neurones de développer de nouvelles branches, et donc de créer de nouvelles connexions (« Evidence that serotonin reuptake modulators increase the density of serotonin innervation in the forebrain », L. Zhou, K.-X. Huang, A. Kecojevic, A.M. Welsh, V.E. Koliatsos, Journal of Neurochemistry, 2006, 96 : 396-406).
Il se trouve que cette régénération des neurones peut être obtenue par de nombreux autres moyens que par les antidépresseurs. Par exemple, des souris adultes qui vivent ensemble et sont libres de profiter de la présence conviviale de leurs congénères voient leurs neurones se régénérer bien davantage que celles qui sont forcées de vivre seules. De la même façon, celles qui font plus d’exercice physique (même sur place, dans une petite roue) stimulent la croissance de leurs neurones. Une étude chez l’homme a aussi montré que des cadres qui pratiquent la méditation pendant deux mois réorganisent de façon durable leur cerveau en ayant changé l’équilibre entre l’hémisphère droit et l’hémisphère gauche (« Alterations in brain and immune function produced by mindfulness meditation », R.J. Davidson, J. Kabat-Zinn, J. Schumacher, et al., Psychosomatic Medicine, 2003, 65 (4) : 564-70). Les médicaments n’ont pas le monopole de la régénération du cerveau. Ils seraient plutôt une voie détournée pour atteindre cette régénération. Le principal stimulus serait au contraire tout ce qui est bon et sain pour l’organisme.
Nous avons tous, en psychiatrie, cru au mythe du « déséquilibre biochimique du cerveau » dans la dépression ou le syndrome de stress posttraumatique. Cela nous donnait des explications faciles au moment où nous recommandions un antidépresseur à nos patients. J’y ai cru, comme les autres, et je l’ai même enseigné. Je souffre maintenant d’imaginer à quel point nous avons contribué à détourner nos patients de leur capacité à guérir par eux-mêmes, à les décourager de stimuler la création de nouveaux circuits dans leur cerveau par bien d’autres approches, toutes aujourd’hui validées – de l’exercice physique à la nutrition, en passant par la thérapie cognitive ou l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing ; en français : désensibilisation et reprogrammation par des mouvements oculaires).
La science a une formidable capacité à créer des mythes puissants. Le plus souvent, ils sont utiles et libérateurs ; mais parfois, ils nous enferment. A nous tous d’être vigilants et exigeants pour ne pas rester prisonniers de ses erreurs.
juin 2006